Pour tout savoir sur le mythe du père Noël et de Coca-Cola, ainsi que sur la véritable histoire de Santa Claus...
Haddon Sundblom, publicité pour Coca-Cola, 1938.
Santa Claus, le distributeur de cadeaux et de friandises emblématique de la Noël, est peut-être le personnage le plus reconnaissable dans le monde entier. Son histoire est pourtant largement méconnue. Longtemps, un mythe tenace a prétendu qu’il a été la création de la firme Coca-Cola. Ces dernières années, de nombreux médias ont contesté cette théorie fantaisiste, tout en attribuant à la célèbre firme de soda un rôle important dans la construction de ce bon vieux père Noël.
En 2017, par exemple, Le Parisien admet volontiers que Coca-Cola n’a pas créé Santa Claus, mais lui attribue le mérite de l’avoir habillé en rouge et blanc, à savoir les couleurs de la marque[1]. En 2019, sur France Culture, Nadine Cretin souligne le rôle de l’illustrateur de Coca-Cola, Haddon Sundblom, qui aurait eu l’idée de donner à Santa Claus une taille normale tout en lui donnant les traits que lui a prêtés Clement Clarke Moore dans son poème A Visit from St Nicholas en 1823[2]. Il s’agit précisément là de la version défendue par la firme Coca-Cola elle-même qui s’exprime sur le sujet sur son site officiel. Pour la marque, le père Noël qui précède celui que Sundblom a dessiné pour Coca-Cola en 1931 est soit un « personnage strict et élancé », soit « un lutin ». Il en fait une personne « chaleureuse, joyeuse, amicale et un peu rondelette » inspirée des origines nordiques de l’illustrateur et le poème A Visit from St. Nicholas. C’est ainsi que la marque aurait inventé le père Noël tel que nous le connaissons actuellement[3].
Que penser de cette histoire ? L’illustrateur Haddon Sundblom a-t-il bien créé le père Noël moderne pour Coca-Cola ? Lui a-t-il donné sa bonhommie, son sourire, sa sympathie, ses forme rondouillardes comme on le prétend ? S’est-il inspiré de ses origines scandinaves et du poème de 1823 A Visit from St. Nicholas pour créer son personnage ? Tout d’abord, il est vrai que des Santa Claus du 19e et du début du 20e siècles sont soit stricts et élancés, soit représentés en gnomes. Mais cela veut-il dire que Coca-Cola est bien le créateur du Santa Claus tel que nous le connaissons aujourd’hui ?
Haddon Sundblom a-t-il créé son Santa Claus ?
Le premier père Noël créé par Haddon Sundblom pour la publicité de Coca-Cola parue dans le Saturday Evening Post de décembre 1931.
Tout a commencé en 1930, lorsque la firme Coca-Cola a engagé l’illustrateur pour lancer une campagne hivernale destinée à toucher le public des enfants. À la suite du succès de la première campagne de 1931, Sundblom va réitérer l’exercice pendant plus de trente ans, période au cours de laquelle les millions de dollars injectés par Coca-Cola ont définitivement popularisé le Santa Claus de Coca Cola à travers le monde. Néanmoins, un premier élément met à mal la théorie « Sundblom ». En fait, un an auparavant, Coca-Cola a déjà lancé une campagne mettant en scène un Santa Claus tout à fait identique à celui de Sundblom, mais dessiné par Fred Mizen (1888-1964) :
Fred Mizen, publicité pour Coca-Cola dans le Ladies’Home Journal de décembre 1930.
Sundblom n’est donc pas le créateur du père Noël moderne. Dès lors, peut-on dire que ce père Noël a été créé par Fred Mizen en 1930 pour Coca-Cola ? ...
Rockwell, Leyendecker et McGran Jackson
À gauche, le Santa Claus Coca-Cola de 1935 dessiné par Haddon Sundblom.
Ci-dessous, celui dessiné par Joseph Christian Leyendecker 13 ans plus tôt dans le Saturday Evening Post, 22 décembre 1923. D’après le site de Coca-Cola, ce dernier devrait être strict et élancé et ne rien à voir avec celui de la marque… or, ils ont exactement la même physionomie, le même visage, la même barbe, le même costume, le même bonnet, la même ceinture, etc.
… Absolument pas ! Car si nous consultons les grandes revues hebdomadaires américaines des années 1910, 1920 et 1930, on tombe sur des pères Noël illustrés par une génération dorée d’illustrateurs commerciaux qui ont dessiné des père Noël avec l’exacte physionomie qu’on lui connaît aujourd’hui et que Sundblom s’est contenté de reprendre trait pour trait. Les dessins de Norman Rockwell (1894-1978), de Joseph Christian Leyendecker (1880-1954) et d’Elbert McGran Jackson (1896-1962) parus chaque année en couverture du Saturday Evening Post ou du Ladies Home Journal sont particulièrement éloquents.
Bref, les illustrations de Santa Claus par Sundblom pour Coca-Cola, aussi belles et éblouissantes soient-elles, ne font que s’intégrer dans une tradition iconographique déjà très bien installée dans la grande presse américaine. Il n’a strictement rien inventé, il ne s’est inspiré ni de ses origines scandinaves, ni du poème A Visit from St. Nicholas comme le prétend la marque. Il a tout simplement repris trait pour trait un personnage que tous les Américains connaissaient déjà.
Norman Rockwell, « Santa Claus », Boys Life, décembre 1913.
Joseph Christian Leyendecker, « Santa Claus », The Saturday Evening Post, décembre 1925.
Joseph Christian Leyendecker, « Santa Claus », décembre 1928.
Elbert McGran Jackson, « Santa Claus », Ladies’Home Journal, décembre 1930.
Rockwell et Leyendecker ont-ils créé le Santa Claus moderne ?
Thomas Nast, Merry Old Santa Claus, 1881.
Dès lors, peut-on prétendre que le père Noël tel que nous le connaissons aujoud’hui est une création originale de Rockwell, Leyendecker ou McGran Jackson ? Il est évident que non. Ce personnage ne sort pas de nul part et n’a pas été créé d’un trait, du jour au lendemain.
Remontons de quelques décennies, des années 1860 à 1880, et jetons un regard sur l’œuvre foisonnante de Thomas Nast, dessinateur de presse qui a popularisé un personnage de Santa Claus très semblable à celui de ses successeurs…
Le Santa Claus de Thomas Nast
Thomas Nast (1840-1902), est né en Allemagne et a migré aux États-Unis à l’âge de six ans. Très talentueux pour le dessin, il est nommé chef artistique de la prestigieuse revue newyorkaise Harper’s Weekly en 1863, à l’âge de 22 ans. Ses premières illustrations de Santa Claus pour la revue, en 1863 et en 1866, représentent un père Noël sous les traits d’un elfe joyeux de petite taille qui descend une cheminée et voyage en traîneau tiré par huit rennes.
Thomas Nast, Santa Claus and his Work, gravure sur bois, 1866.
Néanmoins, Nast fera évoluer son personnage au gré de trente-trois illustrations pendant vingt ans pour le même magasine. Au cours du temps, son Santa Claus prend les traits d’un grand-père gâteau, grandit pour aboutir à une taille normale et adopte une combinaison en fourrure moulante rouge, ainsi qu’une grosse ceinture. Il travaille dans son atelier au pôle Nord et s’assoie à son bureau pour répondre aux lettres envoyées par les enfants, élément dont Nast semble être le créateur.
On peut donc dire que le Santa Claus de Nast est passé d’un petit personnage elfique au grand-père gâteau qu’on connaît encore aujourd’hui.
Santa Claus relevant le courrier des bons et des mauvais enfants.
Ce personnage publié chaque année dans le Harper’s Weekly connaît un succès retentissant et entre pleinement dans la culture américaine qui ne peut plus s’en passer. Plus qu’une physionomie, Nast apporte au personnage l’esprit de Noël tel qu’il se développe à ce moment-là aux États-Unis, à savoir une fête de famille, tournée vers les enfants, au sein d’un foyer heureux où crépite le feu et où tout le monde est réuni dans la joie et la chaleur familiale. Bref, un noël bien différent de la fête tapageuse et largement alcoolisée, telle qu’elle existe encore à l’époque sur le modèle anglais. Bref, un noël qui dominera l’imagerie populaire et commerciale du 20e siècle.
Santa Claus est exploité par la publicité dès les années 1860. Ici, avec une réclame pour les prunes au sucre de 1869, avant la déferlante des années 1890.
C’est donc ce Santa Claus jovial et aimé de tous qui va s’imposer définitivement dans l’Ancien et le Nouveau monde au cours des années 1890, au moment où le commerce international fait disparaître les formes régionales des personnages de noël du vieux continent.
C’est également l’époque où Santa Claus apparaît systématiquement en personne – avec des déguisements plutôt effrayants – dans les grands magasins américains, puis européens, ce qui incite à standardiser le costume, pour être certain que les enfants reconnaissent bien le Père Noël.
C’est encore à cette époque que Santa Claus fait l’objet d’une importante édition de magazines, de cartes postales, de publicités, de boîtes à bonbons et de livres d’images avec partout des Santa Claus de plus en plus standardisés et inspirés du modèle américain, mais qui conservent leurs noms d’origine, tel que Father Christmas en Angleterre, Weihnachtsmann en Allemagne ou Bonhomme Noël en France.
Au début du 20e siècle, c’est donc de ce Santa Claus dont héritent les Rockwell, Leyendecker et autre McGran Jackson qui s’emparent du personnage pour le rendre encore plus sympathique et rondouillard, dans le plus pur style de l’illustration commerciale américaine, moins caricatural que celui du dessinateur de presse Thomas Nast.
Nast a-t-il inventé Santa Claus ?
Thomas Nast, Santa Claus, 1869. Le Père Noël s’envole sur son traineau tiré par huit rennes. Un élément qui date du début du 19e siècle.
Dès lors, peut-on dire que Thomas Nast a entièrement créé le Santa Claus moderne ? L’évolution de son personnage des années 1860 aux années 1880 pourrait le laisser penser. Mais une fois encore, ce n’est pas tout à fait le cas.
En fait, le Santa Claus de Nast, lui non plus, ne sort pas de nulle part. Il doit probablement une partie de sa physionomie aux distributeurs de cadeaux que sont le Herr Winter allemand et le Father Christmas anglais, comme on peut le deviner ici :
Thomas Nast, Santa Claus. Le Père Noël vient déposer des cadeaux dans les chaussettes, une tradition bien antérieure à l’époque de Nast.
Ci-dessous, Herr Winter, créé en Allemagne par Moritz von Schwind en 1847. Probablement une source d’inspiration importante qui a mené Nast a faire grandir son Santa Claus.
Kenny Meadows, « Merry Christmas », Illustrated London News, 25 décembre 1847.
Cependant, ces personnages ne sont pas présentés avec un traineau et des rennes, ni avec un costume en fourrure rouge, ni avec un bonnet, ni avec la pipe. D’où viennent ces éléments ? …
Santa Claus ou St. Nicholas, un distributeur de cadeaux gnome en costume de fourrure rouge
Robert W. Weir, St. Nicholas, 1837, New-York. En 1837, le père Noël a déjà quasiment la physionomie qu’on lui connaît aujourd’hui.
En 1837, dans les locaux de la New-York Historical Society, est accroché un tableau de Robert W. Weir (1803-1889) représentant le St. Nicholas, inspiré du poème A Visit from St. Nicholas, édité en 1823 et écrit par Clement Clark Moore, professeur d’université newyorkais et membre de la société historique. Un bon nombre de caractéristiques du Santa Claus de la fin du 19e siècle sont déjà bien représentées, tels que la cheminée, la hotte remplie de cadeaux, le costume en fourrure rouge, les bottes, la capuche, la pipe, l’embonpoint et la jovialité. Il s’agit indubitablement du Santa Claus de la première moitié du 19e siècle le plus proche de ce qu’il deviendra plus tard.
A visit from St. Nicholas, 1823
Le poème A Visit from St. Nicholas aurait donc fixé au début du 19e siècle un bon nombre de caractéristiques du père Noël moderne. C’est la raison pour laquelle le site officiel de Coca-Cola insiste sur le fait que Haddon Sundblom s’est inspiré de ce poème de 1823, afin de le rapprocher le plus possible des origines du Santa Claus américain :
« His eyes — how they twinkled! His dimples: how merry,
His cheeks were like roses, his nose like a cherry;
His droll little mouth was drawn up like a bow,
And the beard of his chin was as white as the snow
The stump of a pipe he held tight in his teeth,
And the smoke it encircled his head like a wreath.
He had a broad face, and a little round belly
That shook when he laugh'd, like a bowl full of jelly
He was chubby and plump, a right jolly old elf »
Ses yeux – comme ils pétillaient ! Ses fossettes : très joviales !
Ses joues étaient comme des roses, son nez comme une cerise !
Sa drôle de petite bouche était dessinée tel un arc,
Et la barbe à son menton était aussi blanche que la neige ;
Le tuyau d'une pipe qu'il serrait entre ses dents,
Et la fumée qui entourait sa tête telle une couronne ;
Il avait une large figure et une petite bedaine ronde.
Quelles secousses quand il riait, comme un bol de gelée.
Il était potelé et rondouillard, un authentique vieil elfe jovial »
Ce personnage aux yeux pétillants, aux joues roses, à la barbe blanche, au sourire joviale et bien rondouillard est donc un des premiers archétypes de Santa Claus. Mais est-il le plus ancien ? …
The Children’s friend, 1821
William B. Gilley (éditeur), The Children’s Friend, 1 New-Year’s Present, to the Little Ones from Five to Twelve, New-York, 1821. Les 8 illustrations anonymes de ce poème sont les toutes premières représentations connues du père Noël.
… Indubitablement non. Car le premier poème accompagné de la première illustration connue de Santa Claus est paru deux ans avant A Visit from St. Nicholas, dans la première édition du poème The Children’s Friend, de William B. Gilley et Arthur J. Stansbury en 1821. Ce sont donc probablement ces deux auteurs qui ont créé le distributeur de cadeaux typiquement américain, laïc et répondant au nom de Santeclaus, déformation de Sinterklaas, saint Nicolas en néerlandais. Ce sont indubitablement ces deux mêmes auteurs qui ont fortement influencé Moore au moment où il rédige son A Visit from St. Nicholas.
Les principaux éléments du père Noël actuel y sont fixés pour la première fois. Le personnage vient du Nord, il se déplace en traineau tiré par un renne et distribue ses présents la veille de Noël. Sur une image, il est habillé en rouge, mais sur une autre, il est habillé en vert. C’est néanmoins le rouge qui s’imposera par la suite dans la tradition américaine de Santa Claus. Le nombre de rennes augmente dans la décennie qui suit, avec le dessin de la réédition de A Visit from St.Nicholas illustrée par Myron B. King et représentant un traineau tiré par huit rennes, chiffre qui n’évoluera plus.
Myron B. King, illustration de l’édition de 1830 du poème A Visit from St. Nicholas.
De The Children’s Friend à Nast
Santa Claus Quadrilles, 1846.
Des années 1830 aux années 1850, Santa Claus ou St. Nicholas apparaissent sous différents traits plus ou moins proches du personnage qu’on connaît aujourd’hui. Si le St. Nicholas de Weir est convaincant, le Santa Claus illustré pour faire la promotion d’un concert en 1846, jouant du violon et rasé de près, est très éloigné du standard actuel.
À partir de ces mêmes années 1840, le poème A Visit from St. Nicholas connaît un succès grandissant. Il est réédité à de nombreuses reprises et abondamment illustré. Si certains sont éloignés du standard du Santa Claus actuel...
Un St. Nicholas descendant de son traineau et entrant par la cheminée. Charles Ingham, « St. Nicholas, on his New Year’s Eve Excursion in the act of descending a chimney », The New York Mirror, 2 janvier 1841, p. 1. Le personnage a encore une barbe bien taillée et un chapeau qui ne sera pas retenu par la suite.
… d’autres préfigurent clairement celui de Thomas Nast, comme ceux de F.O.C. Darley, de David Scattergood, de Louis Prang, de Howell ou d’autres non identifiés qui, s’ils ont été moins retenus par l’histoire, n’en demeurent pas moins des façonneurs du personnage moderne de Santa Claus, avant Thomas Nast.
F. O. C. Darley, “Santa Claus”, Harper’s New Monthly Magazine, décembre 1857, en illustration de A Visit from St. Nicholas. Il s’agit du Santa Claus le plus moderne en ce milieu du xixe siècle, avec la cheminée, le manteau de fourrure, la barbe en bataille, la hotte pleine de jouets, la pipe, les bottes, le traineau et les rennes.
En 1862, F.O.C. Darley illustre une version de A Visit from St. Nicholas, avec un personnage haut de trois pieds, comme le seront les premiers de Nast.
Anonyme, « The Woners of Santa Claus », Harper’s Weekly, 24 décembre 1857. Santa Claus est ici dans un décor du pôle nord, vêtu de son manteau avec la bordure en fourrure blanche, comme celui de Weir.
En 1860, David Scattergood remplace St. Nicholas par Santa Claus dans le titre du poème de Moore dans une affiche promotionnel à Philadelphie.
En 1863, Howell propose un Santa Claus plus proche encore de sa version définitive pour la version de A Visit from St. Nicholas de l’éditeur de Philadelphie Fisher & Bros.
En 1864, l’imprimeur et lithographe de Boston Louis Prang, surnommé le père de la carte de Noël américaine, publie un dépliant de St. Nicholas, proche à la fois des versions de F.O.C. et de celles du début de Nast, excepté le vêtement jaune.
Le melting pot de Santa Claus
Il est donc clair que le Santeclaus du poème The Children’s Friend de 1821 est un personnage inédit et qu’il est à l’origine du développement de Santa Claus jusqu’à sa version définitive incarnée par le personnage de Nast d’abord et de la génération Rockwell et Leyendecker ensuite.
Tout au long de cette évolution, Santa Claus a emprunté des caractères de personnages de Noël européens, comme la grande stature et la longue barbe hirsute du Her Winter allemand ou du Father Christmas anglais. Au même moment, les personnages européens continuent à être représentés aux États-Unis, tout comme dans leurs pays d’origine, jusqu’à ce qu’ils se fassent complètement évincer par la version quasiment définitive de Santa Claus américain de la fin du 19e siècle. La boucle est ainsi bouclée, Santa Claus a absorbé divers éléments des bonshommes Noël européens avant de prendre définitivement leur place, sans pourtant changer leurs noms. C’est ainsi que le Father Christmas anglais ou le Weihnachtsmann allemand, descendant de Her Winter, prennent l’apparence du Santa Claus américain dans les années 1890 et 1900.
Il est donc évident que le Santa Claus américain n’est pas qu’une simple évolution de saint Nicolas dont il tire son nom. En fait, Santa Claus est un véritable reflet de l’histoire et de la culture américaines. Il est une combinaison de divers personnages distributeurs de cadeaux originaires de diverses contrées européennes. A l’image du peuple américain des 18e et 19e siècles, issu d’un brassage entre Anglais, Allemands, Hollandais et Scandinaves, Santa Claus est né du brassage entre Sinter Claes, Father Christmas, Kriss Kringle et l’elfe Nisse. C’est ainsi qu’il a été affublé d’un costume hybride entre celui de l’évêque et la fourrure de Kriss Kringle, d’une barbe épaisse et de cheveux en bataille de Father Christmas et de la petite taille de l’elfe Nisse, c’est ainsi qu’il a été représenté en distributeur de cadeaux de Noël passant par la cheminée et déposant les présents dans les bas déposés à son attention.
Kriss Kringle’s Christmas Tree: A Holiday Present for Boys and Girls, E. Perrett and Company, Philadelphia, 1847.
D’où vient le mythe de Coca-Cola et de Santa Claus ?
Le camion Coca-Cola créé en 1995, à l’effigie du Santa Claus d’Haddon Sundblom resté le plus populaire de tous les Santa Claus.
Il est donc parfaitement clair que le Santa Claus de Coca-Cola n’est qu’une excellente copie des Santa Claus qui existent déjà auparavant. Dès lors, pourquoi raconte-t-on aujourd’hui que c’est Coca-Cola et son illustrateur Haddon Sundblom qui en sont les créateurs ?
Tout d’abord, il faut disculper Haddon Sundblom lui-même qui, à notre connaissance, n’a jamais prétendu avoir créé un Santa Claus inédit. Quand les journalistes lui demandent quel a été son modèle, il répond invariablement que c’est son voisin et homme d’affaires à la retraite Lou Prentice, avant de se choisir lui-même comme modèle pour chaque campagne Coca-Cola jusqu’en 1964[5].
Dès lors, d’où vient ce mythe ? …
La montée en puissance du Santa Claus de Sundblom
Verres à l’effigie du Santa Claus d’Haddon Sundblom.
En fait, il faut avant tout tenir compte de l’incroyable puissance et de l’impact prodigieux des publicités Coca-Cola sur le public. Les campagnes de noël de Coca-Cola avec l’effigie de Santa Claus dessinée par Sundblom remportent un succès phénoménal, si bien qu’en 1963, on peut lire dans la presse américaine que le sympathique Santa Claus créé par Haddon Sundblom est devenu une véritable institution :
« traditional feature of Christmas advertising for coke which has become an American institution (…)[6] »
Un petit peu plus tôt, en 1954, dans la presse, on dit déjà que Haddon Sundblom « est le créateur de l’adorable père Noël pour Coca-Cola[7] ». Le symbole, bien entré dans la culture américaine, continue à fasciner et c’est Coca-Cola qui parvient le mieux à se l’approprier, au point que le Santa Claus de Sundblom fait complètement oublier ceux qui l’ont précédé. C’est comme s’il n’y en avait pas eu d’autres avant lui.
Haddon Sundblom posant pour une peinture de Santa Claus en 1964.
En 2001, la presse américaine fait encore circuler la fausse information selon laquelle Haddon Sundblom a créé le père Noël moderne, l’a habillé de rouge et lui amis un bonnet.
La communication de l’après-Sundblom
Le personnage du Santa Claus de Sundblom ne disparaît pas en 1964 lorsqu’il arrête de le dessiner. En fait, le père Noël dessiné par Sundblom de 1931 à 1964 est loin de disparaître des mémoires. Son souvenir est même régulièrement ravivé par diverses opérations commerciales, fabrications de verres, éditions de livres ou expositions.
L’année du décès de Sundblom, en 1976, une grande exposition réunissant 35 peintures à l’huile de ses Santa Claus est organisée à moins de deux kilomètres du siège de Coca-Cola, au Peachtree Summit, en plein centre des affaires d’Atlanta. Cette exposition a pour ambition d’expliquer comment Santa Claus a évolué du personnage de gnome à celui que tout américain connaît aujourd’hui[8].
L’année suivante, en 1977, le livre The Illustrated Guide to the Collectibles of Coca-Cola de Cecil Munsey met, lui aussi, l’accent sur les Santa Claus de Sundblom[9].
Par la suite, sans totalement éluder le rôle de Thomas Nast, c’est bel et bien Sundblom qui est communément admis comme le créateur du père Noël moderne[10].
A la Coca-Cola Company, on capitalise sur la nostalgie des images de Sundblom qu’on réédite régulièrement, notamment sur des verres. Dans les publicités, on cite Sundblom, mais on ne prétend tout de même pas que ce dernier a entièrement créé le personnage, comme on le voit sur cette publicité de 1979.
The Tribune, 5 décembre 1979, p. 25, col. 3. Ici, Coca-Cola se contente de dire que Sundblom a dessiné le Santa Claus de Coca-Cola cinquante ans auparavant.
C’est en 1980 que tout bascule. Cette année-là, dans la presse américaine, on est de plus en plus insistant sur le rôle innovateur de Sundblom :
« Until 1931, Santa Claus or St Nicholas was depicted in many ways by many artists. Sometimes he was short and thin, often with a scraggly beard and no two artists agreed on his clothes.
Even the colors of his clothing qere matter for disagreement.
Then, in 1931, the painter Haddon Sundblom did an advertising poster for Coca Cola that established Santa Claus as we all know and accept him – fat and jolly, round-faced with sparkling white beard and mustache, red suit with a wide black belt and a large brass buckle and high black boots[11]. »
Jusqu'en 1931, le père Noël ou Saint-Nicolas était représenté de nombreuses manières par de nombreux artistes. Parfois, il était petit et mince, souvent avec une barbe ébouriffée et aucun artiste n'était d'accord sur ses vêtements.
Même les couleurs de ses vêtements n'étaient pas toujours les mêmes.
Puis, en 1931, le peintre Haddon Sundblom a réalisé une affiche publicitaire pour Coca Cola qui a établi le père Noël tel que nous le connaissons et l’acceptons tous - gros et joyeux, visage rond avec une barbe et une moustache blanches étincelantes, un costume rouge avec une large ceinture noire et une grande boucle en laiton et des bottes hautes noires.
Visiblement, l’auteur de cet article ne s’est absolument pas documenté sur les Santa Claus qui ont précédé celui de Sundblom et qui présentent déjà tous les attributs du père Noël de Sundblom, bonnet, bottes et ceinture en laiton compris. Mais le mal est fait. Désormais, c’est le père Noël Coca-Cola qui, dans la conscience collective américaine, a fixé les traits, le caractère, le costume et la couleur du costume du personnage.
C’est ainsi que tout le monde finit par admettre que Sundblom est le véritable inventeur du père Noël moderne, jetant dans les oubliettes de l’histoire tous les illustrateurs pourtant célèbres qui ont façonné le personnage jusqu’à sa physionomie moderne, une dizaine d’années avant la première publication de Sundblom.
En 2001, suite à la campagne de Coca-Cola sur sa prétendue création du Père Noël moderne en 1931, la presse réagit vivement en démentant formellement l’information. The Ottawa Citizen, 24 décembre 2002, p. 5.
La firme Coca-Cola ne peut espérer mieux. En 2002, elle axe sa campagne de publicité sur le fait que Sundblom a créé le Santa Claus moderne avec en prime une nouvelle exposition organisée au Atlanta’s High Museum of Art avec les 35 œuvres qui font le tour du monde en passant par Paris, Tokyo, Sydney et Toronto[12]. Le tout sous la houlette de l’archiviste de Coca-Cola et avec l’aval de professeurs d’université d’histoire de l’art à qui on ne demande pas trop de détails. Malgré les protestations d’une certaine presse, le mythe s’ancre encore un petit peu plus dans les esprits.
Aujourd’hui, le site de Coca-Cola propose une histoire complètement falsifiée entachée de deux grands mensonges par omission. Premièrement, il prétend que le Santa Claus de Thomas Nast est un petit personnage elfique et ne reconnaît à l’illustrateur que le changement de couleur du costume. Certes, le Santa Claus de Nast ressemble à un petit elfe en 1862, mais absolument plus en 1880, comme nous l’avons vu. C’est le premier flagrant délit de mensonge par omission.
Ensuite, le site fait l’impasse complète sur la génération dorée des illustrateurs du Saturday Evening Post et du Ladies Home Journal qui ont véritablement créé le Santa Claus que nous connaissons aujourd’hui et que Sundblom a repris. C’est le deuxième, et non des moindres, mensonge par omission[13].
En guise de conclusion
Le Santa Claus qui s’est répandu dans le monde dès la fin du xixe siècle grâce aux progrès de la grande distribution, du grand commerce international et des moyens de communication tels que les revues et les cartes postales, est un personnage typiquement américain influencé par divers folklores européens parvenus aux États-Unis aussi bien via les migrants que via les publications.
Il n’est pas facile de déterminer avec exactitude les multiples influences qui ont fait Santa Claus, tant les interdépendances avec les autres personnages de Noël sont fortes. Le premier santeclaus de 1822 est profondément newyorkais. Il émane de la légende de Sinterklaas – dont il tire son nom et très probablement la couleur rouge de son costume – importée par les Hollandais dans la région à partir du 17e siècle.
Dès le départ, il se distingue assez nettement de Sinterklaas par son manteau de fourrure, sa sympathie et son aspect rondouillard, peut-être repris des personnages de Father Christmas ou de l’un ou l’autre personnage allemand tel que Pelznickel ou Knecht Ruprechtd qui ont évolué en Kriss Kringle aux États-Unis. Pour le reste, il semble plutôt émané du folklore scandinave avec sa physionomie d’elfe ou de gnome, ainsi que son traineau tiré par un renne, une création purement newyorkaise. Son habitude de passer par la cheminée, quant à elle, est une vieille légende remontant à Berchta, déesse germanique célébrée au Moyen Âge.
Santa Claus ne s’impose pas directement. Tout au long du xixe siècle, il est concurrencé par s’autres distributeurs de cadeaux, principalement par Kriss Kringle. A partir des années 1850-1860, ces personnages tendent à s’uniformiser et à s’unifier pour prendre les traits d’un Santa Claus, sorte de synthèse entre le poème A Visit from St. Nicholas et les autres personnages d’origine européenne, tels que Father Chrismas ou Herr Winter.
De la fin des années 1850 aux années 1880, une première génération d’illustrateurs dont Thomas Nast construisent le Santa Claus moderne lui donnent les traits qu’on lui connaît encore aujourd’hui. Dans les années 1890, c’est un Santa Claus parfaitement standardisé et parfaitement reconnaissable qui est largement exploité dans le commerce des deux côtés de l’Atlantique. Enfin, des années 1910 aux années 1940, c’est une nouvelle génération d’illustrateurs commerciaux qui peaufinent le Santa Claus de Nast pour lui donner l’exacte physionomie qu’on lui connaît aujourd’hui.
Bref, Haddon Sundblom se situe tout à la fin du processus de création de Santa Claus moderne et non à son début comme on le prétend souvent. Il est clair qu’il n’a fait qu’exploiter un personnage déjà bien fixé dans l’iconographie populaire américaine en 1931, date de sa première publicité pour Coca-Cola.
Malgré tout, la marque de soda est parvenue à imposer l’idée que son illustrateur Sundblom est le véritable créateur du Santa Claus moderne en recourant au mensonge par omission, le plus pernicieux et peut-être le plus exploité d’entre tous. Le mensonge par omission permet, en ne disant que des vérités, de mentir avec beaucoup de persuasion. Thomas Nast a-t-il dessiné des Santa Claus en forme de petits lutins ? C’est vrai. Y a-t-il eu des Santa Claus sveltes au xixe siècle ? c’est également vrai. Le Santa Claus de Coca-Cola dessiné par Sundblom était-il jovial, sympathique et représente-t-il l’archétype du père Noël tel qu’on se l’imagine dans le monde entier ? C’est encore vrai. Mais cela ne veut absolument pas dire que Sundblom en est le créateur. Pour s’en rendre compte, il faut aller chercher toutes les informations que Coca-Cola et de nombreux journalistes complaisants ont « oublié » de mentionner ces quarante dernières années…
[1] https://www.leparisien.fr/guide-shopping/noel/d-ou-vient-l-histoire-du-pere-noel-18-12-2017-7460112.php [2] https://www.radiofrance.fr/franceculture/le-pere-noel-a-t-il-ete-cree-par-coca-cola-8700694 [3] https://www.coca-cola-france.fr/nos-actualites/nos-actus-marques/100-ans-magie-noel-coca-cola ; https://www.coca-colacompany.com/company/history/five-things-you-never-knew-about-santa-claus-and-coca-cola [4] Jerman, 2020, p. 29-31. [5] The Philadelphia Inquirer, 25 janvier 1954, p. 11, col. 3. [6] Sumter County Journal, 28 novembre 1963, p. 4, col. 2. [7] The Philadelphia Inquirer, 25 janvier 1954, p. 11, col. 3. [8] The Atlanta Constitution, 6 novembre 1976, p. 54, col. 3. [9] Standard-Speaker, 4 avril 1977, p. 9, col. 1. [10] Democrat and Chronicle, 19 décembre 1975, p. 47, col. 1. [11] The Sun-Advocate, 26 novembre 1980, p. 18, col. 7. [12] The Atlanta Constitution, 12 novembre 2002, p. E1, col. 1-5. [13] https://www.coca-colacompany.com/company/history/five-things-you-never-knew-about-santa-claus-and-coca-cola.
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