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L’odyssée de la pomme de terre - épisode 1 - Un voyage transatlantique

Dernière mise à jour : 11 oct. 2022

L’histoire de la pomme de terre est longue, fascinante et pas toujours très bien documentée. Faisons un petit récapitulatif qui, sans nul doute, est appelé à s’étoffer dans les années qui viennent. Premier épisode, les origines américaines et la traversée de l’Atlantique…



Guaman Poma de Ayala, “Travaxos: Papa allai mitan pacha”, El primer nueva corónica y buen gobierno, 1615.


La pomme de terre en Amérique


Il y a environ douze mille ans, les premiers groupes de chasseurs-cueilleurs à atteindre la pointe sud de la cordillère des Andes découvrent un petit tubercule passablement toxique et amer. Ces caractères, présumés dissuasifs, n’empêchent pourtant pas les populations du sud du Pérou de le mettre en culture quelque deux mille ans plus tard. Si ce processus de domestication demeure mystérieux pour les scientifiques, il paraît clair qu’il a fortement atténué les défauts du légume[1].


Au cours des millénaires qui suivent, la pomme de terre se répand et se diversifie à travers les Andes sur une surface comprise entre le Sud-Ouest du Venezuela et le Nord de l’Argentine. C’est le groupe Solanum tuberosum Andigenum qui, probablement croisée avec une espèce sauvage argentine, a migré vers le Chili pour donner naissance au deuxième groupe d’espèces, Solanum tuberosum Chilotanum. Ces dernières, contrairement aux Andigenum, sont bien adaptées aux journées longues. La consommation des pommes de terre se renforce dès les premiers siècles de notre ère pour donner naissance à une véritable culture alimentaire de la pomme de terre[2].


La découverte des Européens



Les Espagnols importent le système agricole européen et l’organisation des haciendas en Amérique. Frédérick Catherwood, Hacienda de Xcanchakan, 1843.


Les Européens ne découvrent la pomme de terre qu’une quarantaine d’années après la découverte des Caraïbes par Christophe Colomb. À partir de 1531, après une première phase d’exploration, les Espagnols entreprennent la conquête des terres situées au sud de Panama, le pays de la papa. Francisco Pizarro (ca 1475-1541) part en premier, suivi par quelques aventuriers tels que Gonzalo Jiménez de Quesada (1509-1579) et Pedro Cieza de León (1520-1554). Ce sont eux qui livrent les tout premiers témoignages écrits de la pomme de terre à partir de 1537. Lequel de ces hommes la voit pour la première fois ? Nous ne le saurons jamais. S’est-il seulement intéressé à elle ? Certainement pas.


La raison en est simple. Dès leur arrivée en Amérique, les Espagnols reproduisent le système agricole qu’ils connaissent et créent une sorte de « Nouvelle Espagne » en plein Nouveau Monde. Cela ne les empêche pas d’emprunter des plantes comestibles déjà domestiquées par les autochtones. Les premières à être adoptées sont celles qui leur rappellent des caractères familiers. Le maïs, par exemple, évoque tout naturellement le blé aux Européens, raison pour laquelle ils l’appellent « blé d’Inde ». Selon le même principe, le piment est baptisé « poivre d’Inde ». La papa, en revanche, ne rappelle rien aux colons, mise à part la truffe qui n’est de toute façon pas cultivée. La papa fait donc partie des ingrédients inconnus tant au niveau cultural que culturel. Il est donc inévitable que le réflexe instinctif de survie, qu’on peut qualifier de néophobe, dissuade les Européens d’en consommer[3]. C’est la raison pour laquelle le tubercule, au même titre que la tomate, mettra beaucoup de temps à intégrer le régime alimentaire du vieux continent.


La grande traversée


Gonzalo Jiménez de Quesada, fondateur de la ville de Bogota, capitale actuelle de la Colombie. Il est un des tout premiers Européens à observer la pomme de terre en 1537.


La méfiance des Européens envers la pomme de terre se traduit par une progression très lente du tubercule dans leur culture. Il faut attendre 1562, environ trente ans après sa découverte par les conquistadors, pour qu’il fasse très discrètement la traversée vers l’Ancien Monde. Sa culture s’implante d’abord dans les Canaries, véritable plaque tournante de la navigation transatlantique et moyen terme idéal entre l’Amérique du Sud et l’Europe pour acclimater les nouvelles plantes.


La pomme de terre demeure dans l’île quelques années sous le nom de patata, par confusion avec la patate douce appelée batata en langue arawak d’Haïti. Cette confusion originelle aura d’importantes conséquences linguistiques, vu que les Anglais nommeront la pomme de terre potatoe.


En 1570, soit huit ans après la traversée, la pomme de terre gagne le continent par Séville, sorte de maison mère des Canaries. Trois ans plus tard, l’hôpital pour pauvres et infirmes de la Sangre, situé au nord de la ville, commence à en acheter, mais pour prodiguer des soins ! Car la pomme de terre est d’abord considérée comme un médicament. En 1565, Philippe ii d’Espagne[4] en a déjà envoyé au pape Pie iv pour le soigner. En outre, les quantités expédiées des Canaries vers Anvers en 1567 et vers Rouen en 1574 sont insignifiantes et évoquent davantage la pharmacopée que l’alimentation[5].


Mais bientôt, la pomme de terre intégrera le régime alimentaire européen. Suite au prochain épisode...

[1]Mercedes Ames, David M. Spooner, « DNA from herbarium specimens settles a controversy about origins of the European potato », American Journal of Botany, n° 95 (2), 2008, p. 12-14. [2]Rousselle-Bourgeois, Spire, 2003, p. 162, 163. [3]Madeleine Ferrières, Histoire de peurs alimentaires, Paris, Seuil, 2002, p. 114 et suiv.; John Reader, Potato, A History of the Propitious esculent, New Haven, Londres, Yale University Press, William Heinemann, 2008, chapitre 5. [4] Le roi d’Espagne a reçu des pommes de terre directement des colonies. [5]Gentilcore, 2012; Reader, 2008, chapitre 5, 6.

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