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La gaufre liégeoise, aux origines d’un délice brioché

L'histoire de la gaufre liégeoise, fleuron de la gastronomie belge, nous emmène dans les traditions des fêtes de fin d'année du 19e siècle.



Joseph Grégoire (1900-1976), Nature morte aux gauffres et bouquet de fleurs.


Selon la légende, la gaufre de Liège aurait été créée par le cuisinier du prince-évêque de Liège au 18e siècle. En réalité, cette gaufre est bien plus récente. Il faut remonter un siècle plus tard pour en trouver les toutes premières traces…


La première gaufre liégeoise


On doit la première édition connue d’une recette sous le nom de gaufre liégeoise à Léon Roty, célèbre pâtissier et auteur bruxellois qui a été entre autres président de l’Association des pâtissiers de Belgique[1]. Au début des années 1890, il publie la recette dans un numéro du périodique bruxellois Le journal de la cuisine. Elle est ensuite reprise dans le numéro de janvier 1893 de la revue parisienne Le journal des confiseurs-pâtissiers. Il s’agit d’une pâte de type brioche agrémentée de cannelle et de sucre candi. Elle est cuite dans un fer à gaufre profond et alvéolé.


Il s’agit donc d’une gaufre à la levure – sans blanc d’œuf en neige comme l’est la gaufre de Bruxelles – avec du sucre candi, du lait, du beurre et de la cannelle. La pâte, assez épaisse, est à peu de chose près celle de la brioche, mais avec moins de beurre et moins d’œuf. La sensation recherchée est le croquant du sucre candi qui sera remplacé plus tard par le sucre perlé, ainsi que le moelleux, comme on le voit dans cette publicité de 1928.


La Meuse, 6 avril 1928, p. 10, col. 9.


On peut se demander d’où vient cette gaufre liégeoise, s’agit-il d’une création spontanée de la fin du 19e siècle ? Pas tout à fait. À Liège, il existe une tradition de grosses gaufres depuis le 18e siècle. À partir des années 1870, elles sont un article phare de la Saint-Nicolas et des fêtes de fin d’année, aux côtés des fruits confits, des galettes, des massepains, des spéculoos et des bonhommes[2]. Dès lors, la grosse gaufre est-elle la gaufre liégeoise ? Hélas, il est difficile de trouver des recettes de cette grosse gaufre. Dans un manuscrit liégeois du 18e siècle, il s’agit d’une gaufre levée, légèrement sucrée – mais sans sucre candi – au beurre, au lait et aux œufs. Sa pâte a l’air plus liquide que la pâte de la gaufre liégeoise[3].


Quoi qu’il en soit, on s’aperçoit que la grosse gaufre de nos régions et la gaufre liégeoise apportent quelque chose de nouveau dans la culture de la gaufre. En effet, dans les recueils de recettes de l’époque, qu’ils soient belges ou français, on ne trouve pas d’autre exemple de gaufre à base d’une pâte qui soit à la fois épaisse, levée et sucrée. En résumé, jusque-là, il n’existe pas de gaufre à base de pâte à brioche...


La gaufre liégeoise au sucre perlé


Au 19e siècle, le sucre candi s’est imposé comme spécialité typiquement belge. Au cours du 20e siècle, c’est le sucre perlé, nouveau fleuron de l’industrie sucrière belge, qui prend progressivement la place du sucre candi, notamment dans la recette de gâteau de Verviers[4].


Arrivé dans les années 1920, le sucre perlé a l’avantage de mieux tenir à la chaleur et à l’humidité. Il donne donc davantage de croquant aux pâtisseries. Il est utilisé pour fabriquer des gaufres au moins depuis 1932. Dans le Formulaire de recettes verviétoises de Guy Laurent, la gaufre à la pâte briochée et au sucre perlé ne s’appelle pourtant pas gaufre liégeoise, mais bien gaufre de chasse. Dans le même ouvrage, la gaufre liégeoise est au sucre cristallisé.


Quelques années plus tard, en 1938, Gaston Clément donne quasiment la même recette que celle de la gaufre de chasse de Guy Laurent, mais sous le nom de grosse gaufre*, dans une rubrique dédiée à la pâtisserie flamande[5]. En 1959, il redonne quasiment la même recette, mais cette fois-ci sous le nom de gaufre liégeoise[6]. À partir de ce moment, la gaufre liégeoise s’impose sous cette forme.


Avant la gaufre liégeoise, la gaufre au sucre ?


Joachim Beuckelaer, Scène de cuisine, 1550-1574, York, National Trust, Treasurer’s House.


La caractéristique principale de la gaufre de Liège est donc d’être sucrée, levée et épaisse. Beaucoup moins mouillée que son homologue de Bruxelles, elle est composée d’un pâton beaucoup plus dense. On aurait donc tendance à vouloir trouver l’ancêtre de la gaufre liégeoise dans la gaufre au sucre originale. Toutefois, la tentative s’avère infructueuse…


Les premières gaufres sans sucre, sans levure et sans lait


La gaufre au sucre n’est pas la gaufre originelle. Les premières recettes de gauffres connues datent du 14e siècle et sont parisiennes, bien que la philologie confirme l’existence de gaufres en Flandre depuis le début du 13e siècle. Il serait vain d’y chercher une quelconque formule proche de celle de notre gaufre liégeoise, étant donné qu’elles ne recourent qu’à la farine, à l’œuf, au fromage, au vin et à l’eau[7]. On n’y trouve aucune trace ni de sucre, ni de levure, ni de lait, ni de beurre. En outre, elles sont très fines et non alvéolées.


Gaufre sucrée non levée et gaufre levée non sucrée


C’est dans la Flandre du 16e siècle qu’on trouve la première trace de gaufres sucrées. Nous sommes à l’époque où le port d’Anvers devient un des principaux comptoirs des produits coloniaux portugais, dont le sucre de canne du Brésil[8]. En outre, c’est un petit peu plus tôt, au 15e siècle, que le sucre a définitivement envahi la cuisine et la pâtisserie.


Une des trois recettes de gaufre d’un manuscrit brabançon du 16e siècle se compose de farine, de sucre, de beurre et d’œuf, mais n’est pas levée. Il s’agit d’une gaufre de type « quatre quarts ». Une autre recette se compose de crème, répondant à la nouvelle mode de produits laitiers en cuisine[9]. Si on examine les représentations de gaufres dans l’art flamand du 16e siècle, on constate clairement que ces gaufres sont plus épaisses que les très fines gaufres françaises, mais moins que les gaufres actuelles.


Malgré l’arrivée de lait et de sucre dans les recettes de gaufres, nous sommes tout de même encore loin de la gaufre de Liège. Au moment où explose le nombre de recettes de gaufres dans les livres de cuisine, au 17e et au début du 18e siècles, les gaufres levées ne sont pas ou très peu sucrées. En plus, leur pâte, fortement mouillée au lait, est très liquide[10]. Les gaufres au sucre, quant à elles, ne sont pas levées. De la même manière, le lait exclut le sucre, alors que les gaufres levées et non sucrées sont mouillées au lait. Toutes sont au beurre.


Bref, les gaufres au sucre se composent essentiellement de farine, de sucre, d’œuf et de beurre et ne comprennent ni de la levure, ni du lait[11]. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la gaufre quatre quarts, telle celle du Pastissier françois (1653) qui se compose de 3 œufs, de 125 g de sucre, de 125 g de farine et de 60 g de beurre. On retrouve la même opposition dans les trois recettes de gaufres de La nouvelle maison rustique (1721) de Louis Liger. Sa gaufre à la crème ou au lait n’est ni sucrée, ni levée. Sa gaufre au sucre n’est ni levée, ni au lait et la gaufre d’une autre manière est levée, au lait, mais sans sucre et avec une forte proportion de lait par rapport à la farine[12].


Il manque donc à la gaufre au sucre, pour faire la gaufre de Liège, de la levure et du lait en petite proportion…


Les gaufres au sucre et au lait


En 1742, dans Les dons de Comus de François Marin, la gaufre ordinaire se compose pour la première fois de lait et de sucre, mais ne comporte ni d’œufs, ni de beurre, ni de levure.

Quelques années plus tard, en 1750, Menon propose une gaufre « quatre quarts » semblable à celle du Pâtissier françois, mais enrichie au lait. Cette gaufre au beurre de Vanvre est malgré tout encore très éloignée de la gaufre liégeoise, étant donné qu’elle n’est pas levée et qu’elle est encore présentée sous forme d’une fine tuile courbée. Il s’agit tout de même, pour la première fois et au milieu du 18e siècle, d’une gaufre à la fois au sucre, au lait, au beurre et à l’œuf, une formule qui devient un classique du genre, comme on le voit dans une nouvelle édition des Dons de Comus[13].


Avant la gaufre liégeoise, la brioche, le bonhomme, le cougnou, la couque, etc.


La brioche est-elle le véritable ancêtre de la gaufre de Liège ? Jean-Baptiste-Siméon Chardin, La brioche, 1763.


Il est donc clair que la gaufre levée a longtemps résisté à l’introduction du sucre. En outre, comme nous l’avons vu précédemment, au cours des 17e et 18e siècles, la gaufre levée cuite dans un fer à la flamande est systématiquement une gaufre à pâte liquide et non sucrée, de type à la flamande. Il est donc totalement vain de chercher le prototype de la gaufre de Liège dans les recueils de recettes des 17e et 18e siècles.


La première recette véritablement proche de la gaufre liégeoise apparaît pour la première fois – à ce stade-ci de mes recherches – dans un manuscrit liégeois du 18e siècle, impossible à dater plus précisément. Il s’agit d’une pâte de type brioche, mais presque pas sucrée, qui n’existe pas dans la culture de la gaufre de l’époque, mais qui est très en vogue en pâtisserie dans la confection de certains gâteaux.


Au 19e siècle, dans nos régions, le gâteau-brioche se confectionne avec du sucre candi, à savoir du sucre en gros cristaux. Cette spécialité belge est très peu usitée ailleurs, hormis dans le Nord de la France. On l’utilise dans la brasserie, la confiserie et la pâtisserie à laquelle il donne un caractère véritablement « belge ». Ainsi, à Liège, la pâte composée de farine, de levure, d’œuf, d’un petit peu de lait et de sucre candi sert à confectionner les gâteaux ordinaires[14], ainsi que les gâteaux spécifiques aux fêtes de fin d’année et particulièrement la Saint-Nicolas. C’est à cette occasion qu’on réalise le bonhomme en « pâte de michots » – à savoir pâte à brioche – « abondamment pétrie de sucre candi ». Son homologue de la Noël s’appelle, quant à lui, cougnou[15].


Il n’est donc pas du tout étonnant que cette pâte à brioche au sucre candi ait fini entre deux fers à gaufre, d’autant plus que la grosse gaufre est également, comme nous l’avons vu, une tradition de fin d’année. Il n’est donc pas étonnant non plus qu’elle ait pris le nom de gaufre liégeoise.


Quand exactement cela a-t-il eu lieu ? Il est difficile de le dire avec précision. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le livre de pâtisserie de Philippe Cauderlier paru en 1874 n’en fait aucune mention et que Roty en parle pour la première fois en 1893.


[1] Le Soir, 13 novembre 1895, p. 1, col. 3. [2] La Meuse, 28 décembre 1872, p. 5, col. 4 ; 4 décembre 1904, p. 3, col. 5. [3] Archives de l’état, Cointes, Métiers, n°874. [4] Gazette de Charleroi, 30 août 1938, p. 6, col. 5. [5] La Wallonie, 15 décembre 1938, p. 8, col. 1. En 1932, Gaston Clément donne quasiment la même recette, mais avec de la cassonnade blonde en guise de sucre, sous le nom de gaufre de Namur*, ce qui correspond aux recueils de recettes de l’époque. Le Soir, 1er novembre 1932, p. 5. [6] Le Soir, 20 octobre 1959, p. 13, col. 1. [7] Voir les quatre recettes dans Le mesnagier de Paris, Texte édité par Georgina E. Bereton et Janet M. Ferrier, Traductions et notes par Karin Ueltschi, Lettres gothiques, Paris, Librairie Générale Française, 1994, p. 792. [8] Jean Arthur Van Houtte, Anvers aux xve et xvie siècles, expansion et apogée, Annales, 1961, p. 253, 254. [9] MS KANTL Gent 15, vol.1, recipes 1-50. [10] Voir chapitre « La gaufre de Bruxelles ». [11] François Pierre de La Varenne, Le pastissier françois, Paris, Jean Gaillard, 1653 ; Le cuisinier familier, Bruxelles, Jean-Baptiste de Leeneer, 1705 ; Nouvelle instruction pour les confiture, Paris, Claude Prudhomme, 1705, p. 238-241 ; Louis Liger, La nouvelle maison rustique, Paris, C. Prudhomme, 1721, p. 708. [12] Louis Liger, La nouvelle maison rustique, t. 2, Paris, Prudhomme, p. 708, 709. [13] François Marin, Les dons de Comus, t. 3, Paris, Pissot, 1758, p. 132. [14] La Meuse, 17 février 1897, p. 2, col. 6. [15] La Meuse, 7 décembre 1912, p. 2, col. 4.

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