Se simplifier la vie en cuisine, cela passe aussi par la bonne gestion de la source de chaleur. Retour sur l'évolution du fourneau au 19e siècle...
Catalogue des fourneaux Briffault, Paris, Imprimerie Boussod, 1900.
Au début du 19e siècle, les cuisines bourgeoises sont encore des pièces relativement malsaines, éloignées des lieux de vie et où se concentrent les activités des domestiques dont on se soucie peu du confort. D’ailleurs, lorsqu’on se préoccupe enfin des problèmes occasionnés par l’humidité et le manque d’aération à la fin du 18e siècle, c’est davantage pour éviter la corruption des viandes, que pour améliorer la santé des cuisiniers et des cuisinières dont le taux de mortalité est pourtant très élevé[1]. Il faut dire que la maîtresse de maison apparaît peu dans la cuisine.
Les premiers aménagements modernes consistent donc à améliorer l’aération en extirpant la cuisine du sous-sol où elle était confinée, en construisant des manteaux de cheminée aux conduits hauts et larges et en aménageant des vasistas[2].
Malheureusement, dans la deuxième moitié du 19e siècle, on constate que les cuisines de grandes maisons sont encore situées en sous-sol, qu’elles sont trop spacieuses, mal aérées, mal éclairées et mal insonorisées[3].
Malgré tout, la réflexion sur la rationalisation de la cuisine – dont nous aurons l’occasion de reparler – est bien entamée et ses effets positifs ne tarderont pas à venir. Au cœur du nouveau dispositif, c’est probablement la gestion de la flamme qui connaît l’évolution la plus impressionnante…
La cuisine idéale d’Urbain Dubois avec son matériel moderne et son approvisionnement en eau pure, qualité qui fait défaut dans beaucoup de cuisines de l’époque.
Le fourneau à charbon
Jusqu’au 19e siècle, presque tous les plats se confectionnent dans la cheminée et le four. En 1755, la définition du fourneau est encore celle du potager, à savoir un ouvrage en maçonnerie rudimentaire alimenté à la braise servant à maintenir les plats chauds ou à laisser mijoter les plats en sauce :
« Fourneau de cuisine. C’est une petite table, en manière de potager faite de maçonnerie, & couverte de brique, avec un réchaut, qui sert à faire cuire à part les potages, pour ne pas embarrasser la cheminée de la cuisine. On en fait aussi dans les offices, pour les confitures. Le Fourneau se place devant les fenêtres[4]. »
Le problème principal de l’organisation de la cuisine autour de la cheminée, outre le manque de place et la contrainte de travailler incessamment le dos courbé, est la perte d’énergie occasionnée par le feu ouvert et dont s’alarme le philanthrope Antoine-Alexis Cadet de Vaux (1743-1828) en 1806 :
« Que dans cette saison-ci, en été, on se transporte dans une cuisine bourgeoise, on voit dès le matin, un foyer garni d’une bûche de derrière, de deux gros tisons bout à bout, d’une bûche en travers, le tout aidé de parement de fagots pour mettre le pot au feu en train. Avant qu’il écume il s’écoule une grande heure près d’un grand feu ; car il n’y a que lui au foyer, et il aura, à lui seul, consommé pour quinze sous le bois[5]. »
La solution consiste à enfermer le feu dans un fourneau en fonte. Si ce dernier existe à l’état rudimentaire depuis environ 1750, il se perfectionne et se généralise dans les cuisines des particuliers au cours du 19e siècle, pour devenir courant aux environs de 1850[6].
Le fourneau au gaz
Le fourneau en fonte a réglé un certain nombre de problèmes en élevant l’espace de travail à hauteur d’homme, en emprisonnant la chaleur et en gagnant de la place. Néanmoins, il a l’inconvénient de diffuser une trop forte chaleur en été, rendant le travail en cuisine particulièrement incommode.
C’est alors qu’arrive la cuisinière au gaz, résultat d’un long développement technologique qui a débuté dans les premières années du 19e siècle, surtout en Angleterre et en Allemagne. Dans les années 1850, à Paris, elle commence à se répandre grâce à l’amélioration de la distribution du gaz, mouvement qui s’intensifie à partir des années 1890 grâce à de vastes campagnes de communication de la part de la compagnie de distribution qui s’offre la contribution de grands noms de la gastronomie comme Charles Driessens et n’hésite pas, en 1886, à prêter gratuitement des appareils aux particuliers.
Les bénéfices que vantent les publicités sont réels. Non seulement le contrôle de la flamme permet de régler facilement la température désirée, mais en plus, on n’atteint plus les températures excessives des anciens fourneaux tout en évitant les saletés occasionnées par le charbon. En 1882, Urbain Dubois est particulièrement enthousiaste :
« Maintenant que les foyers à feu ouvert de nos pères ont disparu des grandes cuisines ; maintenant que les bouches à charbon deviennent chaque jour plus rares, c’est dans les appareils à gaz que les cuisiniers doivent chercher leur point d’appui, par rapport aux cuissons prolongées, dont l’ébullition doit être régulière et continue ; c’est sur le fourneau à gaz que doit s’opérer le dépouillement des grandes sauces ; c’est encore sur le fourneau à gaz que doit se faire le pot-au-feu traditionnel de notre pays, qui a son accès dans les grandes cuisines, comme dans les plus petites ; mieux que sur le foyer à feu ouvert, mieux que sur le coin d’une bouche à charbon, on peut obtenir avec le concours du gaz cette ébullition douce, frémissante, réglée, dans laquelle réside en somme toute l’opération[7]. »
D’un autre côté, pour les particuliers, la cuisinière au gaz a le désavantage de ne pas chauffer la pièce en hiver. En outre, le coût du gaz demeure important, raison pour laquelle les publicités se concentrent sur la rapidité et l’exactitude de ce nouveau mode de cuisson.
Malgré tout, même si le Fouquet’s, le Ritz ou chez Maxim’s adoptent le fourneau au gaz à la fin des années 1890, il faut attendre les années 1920 pour qu’il se généralise dans les restaurants où la routine et le coût que représente le remplacement du matériel sont des freins considérables. Chez les particuliers, la généralisation n’aura lieu qu’après le Deuxième Guerre mondiale.
[1] Louis Liger, La nouvelle maison rustique, t. 1, Paris, Samson, Paris, 1790, p. 8. [2] Dictionnaire technologique ou nouveau dictionnaire universel des arts et métiers, t. 3, Bruxelles, Lacrosse et cie, 1839, p. 446 et suivantes. [3] Urbain Dubois, Cuisine artistique, Paris, 1882, p. 2, 3. [4] Augustin-Charles d’Aviler, Dictionnaire d’architecture civile et hydraulique et des arts qui en dépendent, Paris, C.-H. Jombert, 1755, p. 185, col. 1. [5] Cadet de Vaux cité dans Marie-Laure Verroust, Cuisines et cuisinières, de l’Antiquité à nos jours, Paris, éditions de La Martinière, 1999, p. 62. [6] http://jeanmichel.guyon.free.fr/monsite/histoire/metiers/fourneau.htm [7] Urbain Dubois, Cuisine artistique, Paris, 1882, p. 3, 4.
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